Les
maîtrises occupent, dans l'histoire de la musique, une place aussi
fondamentale qu'ignorée. Qui sait que Palestrina fut maître
de chapelle au Vatican et Saint Jean de Latran; que Lassus fut petit chanteur
à Mons, puis placé à Palerme et Milan au service
du vice-roi de Sicile tant sa voix était merveilleuse; que Shütz
dirigeait le "Kreuzchor" de Dresde; que Purcell, après
avoir été petit chanteur à la Chapelle Royale de
Charles II, a composé pour les choristes de cette même chapelle
et pour ceux de Westminster ?
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"...Pépinières
de musiciens, interprètes des grandes oeuvres sacrées
ou profanes, elles émergent de l'oubli pour nous plonger
dans l'histoire, du VIè siècle à nos jours,
jusqu'aux sources-mêmes de la musique...
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S'intéresser à une Maîtrise de "college"
anglaise, c'est parcourir l'histoire de la musique de ce pays; de "l'Escolonia
de Montserrat, c'est dérouler l'histoire de la musique catalane;
brosser celle des Petits Chanteurs de Vienne, c'est raconter l'histoire
de la musique autrichienne... Car les maîtrises ont été,
du Moyen-Age au XVIIIème siècle, et sont parfois encore
aujourd'hui, à l'origine de la création musicale européenne.
...des
compositeurs qui des origines à nos jours, ont été
élèves d'une maîtrise ou ont travaillé en
liaison étroite avec l'une d'entre elles, et qu'ils aient été
maîtres de chapelle, organistes, ou qu'ils aient composé
spécialement pour tel ou tel choeur...... ces grands artistes
dont les noms sont parvenus jusqu'à nous ne représentent
d'ailleurs qu'une infime partie des musiciens éminents qui ont
formé sans relâche les plus belles voix de leur époque.
Ils ont composé des oeuvres de grande valeur et laissé
des travaux de musicologie importants... Marcel Landowski"
Les
Maîtrises sont à l'origine de la musique liturgique en Occident
La
musique a toujours été utilisée dans le
culte : le chant choral se situe aux origines de l'art religieux.
En Israël, au temps de David et Salomon, et plus encore
à l'époque d'Esdras, on utilisait la musique pour
honorer Dieu et, par son influence sur la sensibilité,
on mettait l'âme des fidèles en état de
réceptivité spirituelle.
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Dés
cette époque, les instruments de musique, moins prisés
que la voix humaine pour l'accompagnement du culte, étaient
l'objet de méfiance :
s'ils
étaient utilisés au Temple, ils n'étaient
pas acceptés dans les synagogues, ces " maisons
de prières " qui furent les ancêtres des églises
chrétiennes.
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On n'y entendait que des prières et des lectures, accompagnées
du chant vocalisé des psaumes. Au Temple, on utilisait pour la
liturgie des enfants élevés sur place et que l'on formait
à être " lecteurs ". Installés sur une estrade,
au-dessous des hommes, ils chantaient les psaumes à deux churs
de dix ou douze exécutants, et des versets modulés en solos
vocalisés.Les premiers chrétiens reprirent les rites cultuels
des synagogues.
On
sait, par une lettre de Pline le jeune, par les Actes des Apôtres,
que les premiers chrétiens se réunissaient pour
chanter des hymnes, des psaumes et des odes...
Les
lecteurs modulaient des passages des Écritures, les fidèles
se contentant de s'exprimer par de brèves acclamations
: Amen, Alleluia, Deo Gracias, ou de courts refrains. St
Paul les y exortait en s'exclamant : " Chantez à
Dieu de tout votre cur avec reconnaissance, par des psaumes,
des hymnes et des cantiques spirituels ".
Les
chrétiens du IIIème siècle organisaient
aussi des repas communautaires, les " agapes ", qui
s'achevaient sur des psalmodies.
Les
enfants, puis les vierges, sans doute des hommes et des femmes
consacrés à Dieu, y tenaient un rôle particulier,
le peuple se contentant de répondre. Tantôt c'étaient
des vierges et des moines qui tenaient les rôles de psalmistes,
tantôt c'étaient les enfants.
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Ces enfants ont assez tôt été regroupés dans
des écoles préparatoires situées autour des églises,
préfigurant les futures scolas. (On a utilisé la terminologie
latine, " scola " jusqu'à la fin du Moyen Age, puis l'étymologie
grecque de " schola "). On en découvre d'abord à
Rome, signalées dans le Liber Pontificalis, sous Sixte II (257-258)
et sous Gaius (283-296).
Le
lectorat était la première discipline enseignée
à ces jeunes clercs :

"
II faut avoir pris rang dans le ministère ecclésiastique
dès l'enfance en demeurant parmi les lecteurs jusqu'à
vingt ans sans interruption ", écrit un certain
Labbe.
On
trouve aussi des enfants consacrés spécialement
au chant dès le IVème siècle à Rome.
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.
Audiant
hoc adolescentuli, audiant hi quibus psallendi in Ecclesia officium
est :
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|
"
Que les enfants entendent cela, que ceux qui chantent entendent
comment on célèbre dans l'Église ",
s'écrit saint Jérôme.
Au
IVème siècle, lorsque les persécutions
eurent cessé, les offices purent devenir publics, et
donc plus sonores et animés.
Le
chant prit plus d'importance, les clercs et les fidèles
participant davantage à des mélodies simples chantées
sur les psaumes ou les hymnes.
Mais
certains excès conduisirent peu à peu à
la réorganisation de la partie musicale des offices.
|
Les chants principaux furent confiés à des spécialistes
: le diacre, qui dirigeait les lecteurs, regroupés dans la scola,
chantant en chur les antiphons nouveaux de l'entrée, de l'oblation
ou de la communion.
Des
épitaphes romaines des IVème et Vème siècles
parlent du chant doux comme le nectar et le miel d'un jeune lecteur. Comme
dans les synagogues, c'est aux seules voix que l'Église confie
la musique : elle a gardé une grande méfiance à l'égard
de la musique occidentale, associée dans le monde païen aux
plaisirs et à la débauche. Cette attitude durera jusque
tard dans le Moyen-Age. Ainsi,
saint Jérôme, pour l'éducation d'une fillette, recommanda-t-il
: " Qu'elle soit sourde à l'orgue, à la tibia, à
la lyre, à la cithare. Qu'elle ignore pourquoi elles ont été
inventées ! " (Lettre 107).
Le
Chant, à l'opposé, lui semble propre à exprimer la
prière en chantant " dans l'esprit ", " dans son
cur ". Et puis, lorsque l'on chante, n'imite-t-on pas les anges
qui louent Dieu au Ciel. Dans la conception augustinienne, le chur
terrestre est un écho du chur des anges, et la musiqUe spirituelle,
qui transcende toute chose, condUit à Dieu.
La peinture et la sculpture ne manquent pas de ces représentations
d'angelots Chanteurs. Et Cette idée de l'enfant pas encore homme,
asexué, " pur " et porteur de nos rêves de rachat
et d'innocence est un mythe qui a la vie dure. Combien d'auditeurs, de
nos jours encore, assistant à un office chanté, sont troublés
par le chur " d'anges " qui chantent devant eux, même
lorsqu'ils sont peu sensibles à la musique...
Les
Maîtrises furent les premières écoles de musique
C'est
à saint Grégoire qu'est attribué le mérite
d'avoir remis de l'ordre dans le chant romain, c'est du moins ce qu'affirme
Jean Diacre. On en était arrivé, en effet, à choisir
pour le diaconat ceux qui avaient la plus belle voix. En 590, il retira
aux diacres leurs fonctions, et installa officiellement les écoles
d'enfants chanteurs.
Au
cours du Vème siècle s'était faite la distinction
entre scolas de lecteurs et scolas de chanteurs, à l'initiative
de l'empereur Justinien de Constantinople ; Grégoire reprit
le modèle pour l'imposer à l'Occident.
Selon Jean Diacre, saint Grégoire "institua l'école
des chantres qui module encore dans l'Église romaine selon
ses enseignements.
Il
lui assigna diverses propriétés et lui fit bâtir
deux demeures, l'une au pied des degrés de la basilique
de l'apôtre Pierre, l'autre prés du palais patriarcal
de Latran.
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|
On
vénère aujourd'hui le lit sur lequel il reposait
en donnant ses leçons de chant, le fouet dont il menaçait
les enfants, et son antiphonaire authentique ".
L'Église
a toujours aimé la vénération des reliques,
et il faut noter qu'elle rend un culte au lit et au fouet de saint
Grégoire! Toujours est-il que cette Schola Cantorum, prototype
des maîtrises de cathédrales, est à l'origine
de notre musique occidentale.
Saint Grégoire en est-il l'inventeur ? Sans doute était
elle la transformation de la schola lectorum plus ancienne ; mais
c'est bien sous son règne que cette vieille école
se consacra exclusivement au chant.
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De
la schola cantorum sortirent rapidement des chanteurs qui allaient devenir
illustres : le futur pape Deusdedit (615 - 618) y apprit les hymnes des
Vigiles; Léon 11(682-683) y fut initié au psautier et à
la cantilène (cantilenae psalmodia praecipuus); le futur pape Sergius
(687 - 701) y fut confié au prieur des chantres parce qu'il était
doué pour le chant (quia studiosus erat et capax in officia cantilenae
priori cantorum pro doctriny est traditus). Et encore plus tard, Eugène
1er y fut a cunabulis, dès le berceau, et le pape Sergius (847)
y apprit " les mélodies harmonieuses du chant " si bien
qu'il y dépassa les autres enfants de l'école. Il reconstruisit
l'école. La schola était aussi appelée orphanotrophium,
l'orphelinat, ce qui indique d'une manière claire l'origine du
recrutement. Cela explique aussi sa pauvreté...
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La
schola cantorum est mentionnée dans une lettre de Paul
1er à Pépin le Bref et dans les Ordines du Vlllème
et du lXème siècle. On y apprend qu'elle avait
à sa tête plusieurs sous-diacres : le prior ou
primicerius, le secundus, le tertius et le quartus ou archiparaphonista,
et qu'ils étaient tous des dignitaires. Au dessous, des
chefs de groupes, les paraphonistae. Les
enfants chantaient à toutes les fêtes solennelles,
et particulièrement aux sacres des papes et des rois.
Ils défilaient sur deux rangs, précédés
des dignitaires et encadrés par les paraphonistes.
Lorsqu'ils
sortaient de l'école, ils avaient le rang d'acolytes.
Ils étaient, pour le service des grandes basiliques romaines,
une vingtaine. Leur nombre descendit même à douze.
Ce
petit nombre était compensé par des voix rigoureusement
choisies et travaillées, puissantes, vociferati disait-on.
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D'autres
scholas furent fondées sur le modèle de la schola cantorum
: vers 760, le pape Etienne II envoya Simon, secundus de la schola
à Rouen. L'archichantre Jean fut envoyé en Grande-Bretagne
par le pape Agathon... Dans ces écoles, le rôle de cantor
était partagé entre deux personnages : le praecentor
ou préchantre, qui était chargé de l'organisation
matérielle de l'école, et, souvent, de la surveillance
des petites écoles ; et le succentor, le sous-chantre, qui
dirigeait le chant.
Les
autres pays avaient aussi leurs enfants chanteurs : revenons quelques
siècles en arrière dans les Églises d'Orient.
A Jérusalem, il y avait de jeunes enfants, les pisinni, qui
participaient aux célébra en chantant : "
Ils sont nombreux, raconte SiIvia lors de son pèlerinage, et
à chacun des noms prononcés par le diacre, ils répondent
Kyrie eleison, et leurs voix sont infinies ". Infinies ! Déjà
le charme des voix d'enfants...
Les
Grecs avaient une ordination spéciale pour les chantres : les
empereurs Léon et Constantin avaient permis, à partir
du lXème siècle, que l'on ordonnât les enfants
lecteurs et chantres dès qu'ils sauraient lire et écrire.
Leur éducation au chant et à la lecture sacrée
commençait donc très tôt, dans l'Église
d'Orient, où elle était plus rigoureuse et monacale
qu'à Rome. En Afrique aussi, des enfants étaient utilisés
pour le chant, tel ce jeune lévite qui se fait sermonner en
public par saint Augustin : "
Nous n'avions pas ordonné au lecteur de chanter ce psaume :
mais Dieu a jugé bon que nous l'entendions, et il nous l'a
imposé par la bouche de cet enfant ".
A
Carthage, les enfants étaient confiés très tôt
à l'Église qui les formait dans une école d'enfants
de chur où on leur enseignait le lectorat et le chant.
Ils eurent d'ailleurs leurs martyrs lors des persécutions par
les Vandales en 484 : lorsque ceux-ci envahirent l'église dans
laquelle se déroulait une cérémonie, l'enfant
soliste ne cessa pas de chanter et mourut la gorge transpercée
d'une flèche. Puis, une douzaine d'entre eux, " doués
de belles et fortes voix et très habiles aux mélodies
musicales furent emmenés en exil et martyrisés ".
Des
enfants de chur aussi en Espagne, où le concile de Tolède
de 531 s'occupe de leur organisation, en Angleterre, où une école
est créée à Canterbury, en Allemagne...
Les
Maîtrises à travers différentes époques
C'est
au cours du Moyen Age que furent mises en place les structures de fonctionnement
qui ont servi dans les maîtrises françaises jusqu'à
la Révolution. On distingue deux époques dans l'histoire
des écoles : au deuxième concile de Vaison, en 529, saint
Césaire avait ordonné la création d'écoles
jusque dans les campagnes. Elles fleurirent. Paris avait la sienne, dirigée
par l'évêque saint Germain. Fortunat nous décrit un
office d'une manière savoureuse :
"
D'un côté, l'enfant mêle sa voix douce et perçante
aux instruments bruyants ; de l'autre, le vieillard pousse de son
gosier une voix large et éclatante comme la trompette. La voix
flûtée des enfants adoucit la voix forte et rauque du
vieillard... Sur l'ordre du pontife, le clergé, le peuple,
les enfants, entonnent la psalmodie ".
Fortunat
parle plus loin, dans la " Vie de saint Germain ", de la voix
mélodieuse d'un clerc qui n'avait que dix ans. Grégoire
de Tours nous raconte que saint Nizier, qui fut archevêque de
Lyon, formait les enfants dès qu'ils en étaient capables
" au chant et à la lecture des psaumes ", et que saint
Quentien, évêque de Clermont, fut si charmé par
la voix du petit Gal qu'il l'emmena dans sa ville pour être l'ornement
du chant liturgique.
Ces
écoles disparurent à peu prés toutes au Vllème
et au Vlllème siècle. A la suite d'un rapprochement avec
le pape Etienne Il, Pépin le Bref et Charlemagne les restaurèrent
en les réformant. Ce fut la Seconde époque. Modifié
et développé dans les monastères situés
entre Loire et Rhin, le chant romain revint à Rome au bout de
deux cents ans et là, officialisé, canonisé, il
fut attribué à saint Grégoire et devint le chant
grégorien. Les maîtrises les plus célèbres
se trouvaient alors à Metz, à Rouen, à Chartres,
à Canterbury, à Soissons, à Saint-Gall.
Charlemagne
comprit aussi le rôle unificateur que pouvait avoir le
grégorien parmi les différents peuples qui composaient
son empire. Aussi imposa-t-il l'étude du chant dans les
écoles qu'il créa.
Le
capitulaire de 789 stipule : " Que les ministres de Dieu
attirent auprès d'eux, non seulement les jeunes de condition
modeste, mais les autres aussi. Qu'il y ait des écoles
de lecture pour les enfants, que les psaumes, les notes, le
chant, le calcul et la grammaire soient enseignés dans
tous les monastères et dans tous les évêchés
".
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|
Le
programme ne variera plus guère. Des écoles apparurent
un peu partout, dans les cathédrales, les monastères
et même les églises un peu importantes. Les plus
célèbres se trouvaient à Aix-la-Chapelle,
Metz, Rheinau, Cluny, Saint-Gall, Saint-Riquier...
A
la collégiale de Saint-Aignan, le roi Robert dirigeait
lui-même la maîtrise, comme le faisait Charlemagne
à Aix où l'École du Palais était le
modèle de référence. Les cathédrales
rivalisèrent entre elles et firent monter la qualité
en envoyant des élèves étudier prés
des chantres venus d'ltalie.
|
Le concile d'Aix la Chapelle, en 806, et ensuite Gauthier et Théodulfe,
évêques d'Orléans, hâtèrent l'établissement
des écoles paroissiales.
Quant
aux monastères, ils installèrent aussi des écoles
de chant. Cluny n'avait que six enfants, mais Saint-Riquier entretenait
trois churs de chacun cent moines et trente-trois enfants ! Ces
écoles conservèrent les mêmes structures jusqu'au
Xlllème siècle. Par contre, dans les cathédrales,
elles élargirent peu à peu leur programme, ajoutant à
l'étude des psaumes, de la notation, du chant, du comput, celle
de la grammaire et des arts libéraux, et elles s'ouvrirent aux
laïcs autant qu'aux clercs.
A
partir du Xlllème siècle, les écoles de chant subirent
des modifications et changèrent souvent de nom : le terme de scola,
qui venait du vieux latin, fut parfois remplacé par celui de psallette,
de manécanterie (les manicantiones étaient des chants remontant
à l'époque mérovingienne), de maîtrise, par
extrapolation de la fonction du maître de chapelle qui avait la
maîtrise d'une église, ou encore de chapelle. La Chapelle
Royale, qui remonte à la royauté franque mais fut surtout
développée par Charlemagne pour ce qui est de la musique,
tirait son nom de la chape de saint Martin qui y était conservée.
|
Gerson,
chancelier de l'Université de Paris, avait spécialement
la charge des enfants de chur de Notre-Dame de Paris.
Il écrivit pour eux la Doctrina pro pueris ecclesia parisiensis,
traité qui fait de lui un novateur : avant lui, on considérait
l'enfant comme un adulte en réduction, sans caractère
propre ; Gerson établit un règlement fondé
sur l'observation et l'expérience des enfants, et adapté
à eux.
Il contribua aussi à créer le mythe de l'enfance,
faisant de cette période de la vie l'âge de l'innocence,
et y voyant le recours de l'Église : s'il ne pouvait
imposer sa réforme aux adultes, il pourrait toujours
reporter son espoir sur les enfants, malléables et plastiques.
|
|
Il avait une véritable mystique de l'enfance, estimant que les
hommages des enfants plaisaient davantage à Dieu que ceux de vieillards
décrépits Officium angelicum exterius. La peinture et la
statuaire de l'époque sont pleines de ces anges glorifiant le Seigneur
par la voix ou avec les instruments.
Il
mit au point des méthodes éducatives nouvelles concernant
l'instruction, qu'il voulait en langue vulgaire, le choix des maîtres,
le soin et le temps qu'il faut consacrer aux enfants : ceux-ci doivent
sentir dans leur maître un "frère" sachant "
prendre part à leur gaîté " et entretenant avec
eux une fraternité spirituelle. Il donna enfin toute son importance
au chant dans le système éducatif. Son Règlement
exerça une influence considérable, non seulement à
la maîtrise de Notre-Dame de Paris, où il est toujours conservé,
mais dans les autres écoles.
De
ces maîtrises, de nombreux musiciens n'allaient pas tarder
à en sortir, composant, jouant à leur tour pour les
églises comme pour les cours :
"
Les poètes-musiciens qui recueillaient des lauriers dans
les cours seigneuriales avaient parfois passé des mois à
étudier leur art dans les abbayes et y retournaient pour
s'y perfectionner " nous dit Théodore Gérold.
|
|
D'autres
s'y retiraient, comme ce Julien de Spire qui, après avoir été
Maître de la Chapelle Royale à l'avènement de
Louis IX, devint ensuite franciscain. . |
Le
rôle de l'Église fut, à cette époque, extrêmement
novateur : de nombreux prêtres et moines ont cherché de nouvelles
formes musicales ou écrit des traités savants :
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Ut
queant laxis
resonare fibris
mira gestorum
famuli tuorum
soIve pollutis
labii
reactum
|
Odon de Cluny, Notker, qui mit au point le système des
tropes Guy d'Arezzo, auteur du Micrologue et qui imagina une nouvelle
méthode de notation en se servant des syllabes d'un hymne
à saint Jean-Baptiste ou encore Elie Salomon, auteur d'un
important traité : Scientia artis musicae.
St
Quentin, par exemple, possédait l'une des meilleures écoles
de chant d'où sortirent, aux XVème et XVlème
siècles, des musiciens célèbres :
Josquin
Després, d'abord cantor in choro sancti Quintini, puis
élève de Jehan Ockeghem, chapelain de la Chapelle
de Charles VII, chanteur à la Chapelle Pontificale de Sixte
IV ; Louis Compère, qui chanta avec Josquin à St
Quentin et à la Chapelle de Charles VII ; Jean de Hollingue,
dit Jehan Mouton, élève de Després.
|
Plus
tard, Bournonville, ancien maître de chapelle à Rouen et
Évreux, y devint maître.
Chaque
cathédrale avait sa musique
|
Chaque
maître de chapelle, chaque organiste, composait pour son chur
: Certon à la Sainte Chapelle de Paris, Bouzignac à
Grenoble, Rodez ou Tours, Jean-François Lallouette à
Notre-Dame de Paris, Henri Madin à Bourges ou Rouen, Le Sueur
à Dijon, au Mans, à Paris, Henri Frémart et
Michel Lamy à Rouen, ou encore Louis-Nicolas Fromenta qui
fit chanter "cinq ou six motets à grande symphonie "
quand il était encore maîtrisien dans cette même
cathédrale ; et Arcadelt, Palestrina ou Allegri à
la Chapelle Sixtine, Lassus à Rome, Anvers ou Munich, Aichinger
à Augsbourg, Guerrero à seville, Cesti à Venise...
Et tant d'autres...
|
|
A
Avignon, en 1600, le Labyrinthe Royal de " L'Hercule Gaulois "
commente une grande manifestation musicale qui eut lieu devant la reine
: " II y avait... un chur de musique à voix et instruments,
sous la conduite de M. l'Aeschviol, organiste de l'église cathédrale
: les voix étaient toutes d'eslite... ils entonnèrent de
fort bonne grace un hymne à deux churs, l'un à quatre
voix choisies, l'autre en plein chur renforcé... A la Place
du Change, la Royne y fut saluée et retenue par le grand chur
de musique... qui chanta fort mélodieusement... Sa Majesté
monstra d'y prendre plaisir, l'entendant d'un bout à l'autre :
aussi la mélodie en estoit belle et de bonne grâce "...
Ce " grand chur de musique " était composé
en fait de toutes les chapelles d'Avignon : celles de la Métropole,
du Palais, de St-Agricol, de St Pierre, des Jésuites, des Pénitents
et la chapelle pontificale. "
Ces maîtrises durèrent en France, jusqu'à la Révolution.
Vie
d'une maîtrise française du VIème siècle à
la révolution
On
suit la vie de ces maîtrises dans les documents d'archives des chapitres
amplement relatés, prenons par exemple l'une d'entre elles : la
Maîtrise de la Cathédrale de Chartres.
Vers
485 à côté de " l'église-cathédrale"
de Chartres est apparu un collège capitulaire, dans lequel
des enfants destinés à devenir prêtres et chanoines
recevaient une double formation religieuse et musicale.
A cette époque, saint Fulbert avait fondé des écoles
littéraires et théologiques qui devinrent vite très
réputées.
|
|
Les
enfants chanteurs s'y rendaient pour y recevoir un enseignement
de haut niveau.
Aussi
les offices chantés par cette sorte de maîtrise supérieure
étaient-ils splendides.
|
L'évêque
s'occupait personnellement d'elle : enfants et chantres adultes vivaient
autour de lui et chantaient les oeuvres qu'il écrivait pour eux,
comme les Trois répons de la Nativité de la Sainte Vierge,
ou L'office de Saint Gilles. Ce fut une époque de grand rayonnement,
rendue possible parla présence d'hommes intelligents, cultivés,
éclairés.
Après
la mort de Fulbert, la qualité de l'enseignement dans les écoles
épiscopales diminua fortement. La maîtrise reprit son autonomie
et devint, du Xlème au XIVème siècle, une école
consacrée exclusivement au chant et aux célébrations.
Les
enfants étaient des petits clercs tonsurés, portant
amict, aube et ceinturon, servant au chur comme thuriféraires,
acolytes, lecteurs et chantres. Ils recevaient, pour leur service
aux cérémonies, une petite rémunération,
le casuel, du pain, de la viande, du vin et, plus tard, de l'argent.
Ceux qui avaient les plus belles voix étaient affectés
au chant.
Ces
enfants, d'origine modeste - les fils de riches devenaient directement
chanoines - étaient six au Xlllème siècle,
ils étaient soumis à l'autorité du chapitre
des chanoines, l'évêque étant occupé
à d'autres tâches.
Deux
prêtres, les Maîtres, étaient affectés
à leur instruction. ils étaient placés sous
l'autorité d'un Grand Maître qui veillait à
la bonne exécution des chants et aux moindres détails
du quotidien et rendait compte aux chanoines qui, finançant
la maîtrise, veillaient sur elle avec un soin jaloux.
|
|
Les
enfants de chur
Les
noms par lesquels on nommait les élèves sont aussi désuets
que savoureux. On les appelait : enfants chanoines de Notre-Dame, élèves
ou nourrissons de l'Église, enfants de chur (pueri chori
ou de choro), puis enfants ou clercs de chur en aube (pueri ou
clerici chori in albi), et enfin enfants d'aube (pueri in albis). Ils
étaient logés à la maison des enfants (domus puerorum),
aussi appelée ostel des enfants de cuer en 1415, où d'aulbe,
en 1462, psalette en 1479, psalette ou maîtrise au XVlllème
siècle. Le nombre d'enfants n'excédait pas plus de 6 au
Xllème siècle, parfois 10, et par deux fois seulement
ils furent 12. Ce nombre semblait idéal, mais le manque de moyens
ne permit pas de le maintenir.
Le
recrutement des voix
Chaque
voix devait donc être belle et puissante, aussi le recrutement
était-il fait avec beaucoup de soin. Lorsqu'un enfant muait,
le commis et les maîtres, souvent les chanoines et le maître
de musique, parcouraient les villes et les campagnes, rameutaient les
curés de paroisses, faisaient venir, en leur payant les frais
de route, les petits candidats qui leur étaient recommandés,
de Dreux, de Mantes, parfois même de Paris. Les maîtres
des autres cathédrales étaient sollicités... Les
enfants venaient le plus souvent de milieux modestes : fils d'artisans,
de petits commerçants, ou encore orphelins. Ils venaient plus
souvent des villes que des champs, car les chanoines considéraient
que les voix citadines étaient plus délicates et talentueuses...
Mais ils pouvaient aussi être les enfants de musiciens du roi
qui escomptaient pour leur progéniture, sans bourse délier,
une bonne formation musicale et instrumentale. Les maîtrises ont
en effet joué le rôle de conservatoires de musique vocale
et instrumentale gratuits jusqu'à la Révolution. Les enfants
qui y entraient avaient en général entre 6 et 8 ans, âge
où les voix sont encore faciles à former, et susceptibles
de durer. Mais un garçon venant d'une autre cathédrale
et ayant déjà reçu une formation pouvait entrer
plus tard.
Les
voix étaient alors jaugées. Au XIVème siècle,
le fait d'être présenté par un chanoine
suffisait ; mais à partir du XVlème siècle,
les candidats, toujours plus nombreux que le nombre de places
disponibles, passèrent un examen devant les chanoines
eux-mêmes. Cet examen consistait principalement à
chanter dans la salle capitulaire devant l'auditoire, parfois
avec le chur, au cours d'un office.
Ceux
qui ne semblaient pas très solides devaient en outre
subir un examen médical. Il fallait aussi fournir un
certificat de naissance légitime - pas question de recevoir
un enfant naturel -, et les parents devaient s'engager à
laisser l'enfant jusqu'à la fin de son service, soit
généralement de six ou huit jusqu'à dix-huit
ans. Les candidats malheureux étaient renvoyés
chez eux aux frais du chapitre.
|
|
On
procédait alors à l'installation du nouvel enfant de chur.
Elle pouvait avoir lieu n'importe quand mais, à la fin du XVllème
siècle, la coutume voulait que les sortants partissent à
l'issue des fêtes de Pâques, les nouveaux étant reçus
la veille des Rameaux. Le chantre allait prendre l'enfant à la
sacristie, revêtu de son nouveau costume, et le conduisait solennellement
à la place qui lui avait été affectée parmi
les autres chanteurs. Les notaires du chapitre assistaient à
l'installation, de même que les parents et les chanoines, et ils
dressaient les actes qu'ils inséraient au registre des contrats.
En voici un, en date du 1er mai 1691 :
"
Furent présents en leurs personnes Antoine le Vacher, maître
de danse et joueur d'instruments, et Catherine Gaboys, sa femme, demeurant
à Chartres, paroisse de Saint-Martin, lesquels ont déclaré
que, dès le 20 avril dernier, ils ont laissé au service
de l'église de Chartres, pour y servir en qualité d'enfant
de chur, Antoine Levacher, leur fils, âgé de sept
ans et demi, en conséquence du choix qu'il a plu à Messieurs
du Chapitre de la dite église, faire de la personne de leur dit
fils...
Lequel
fut installé, issue de Primes, au chur de la dicte église,
du côté de M, le Doyen, par M. Roze, en présence
des dits Vacher et sa femme, après avoir presté les serments
entre les mains du dit sieur Roze, à l'autel de Saint Anne, que
leur dict fils est né de légitime mariage. Déclarent
aussi qu'ils consentent que leur dict fils Levacher serve en la dicte
église en qualité d'enfant de chur, tant et si longtemps
qu'il plaira au chapitre ".
Le
" gouvernement " des enfants d'aube
A
la tête de la maîtrise se trouvait le chapitre. Assurant
l'entretien des enfants et des maîtres, il s'attribuait un droit
de regard sur tout : les études littéraires et musicales,
la discipline, les chants et les cérémonies, les problèmes
matériels, l'admission ou le renvoi, les traitements... Il délibérait
et décidait en assemblée capitulaire, communiquant avec
la maîtrise par l'intermédiaire de deux ou trois chanoines
nommés par elle, les commissi ad domum puerorum, les Commis à
l'Oeuvre. Les commis avaient l'il sur enfants et maîtres,
veillaient aux dépenses, contrôlaient l'enseignement de
la grammaire et de la musique, surveillaient quantité et qualité
de la nourriture, indiquaient les abus au chapitre, faisaient soigner
les malades et isoler les contagieux, trouvaient du travail à
ceux qui ne pouvaient demeurer à la maîtrise, signalaient
les manquements à la discipline... Ils exerçaient aussi
un contrôle précis et sévère sur les maîtres,
leur imposant le respect du règlement et de leurs engagements
en matière d'assiduité aux offices et aux leçons,
de bonne tenue des comptes, d'alimentation et de soins aux enfants,
de moralité enfin.
Tout
manquement était signalé au chapitre qui n'hésitait
pas à blâmer ou sanctionner. C'est eux aussi qui veillaient,
avec le maître de musique, au remplacement des enfants partants,
ou qui recherchaient un nouveau maître de musique, écrivant
aux chanoines des autres cathédrales. Leurs actes, leurs décisions,
leurs doléances remplissent des pages et des pages de registres
capitulaires, faisant alterner les décisions les plus importantes
et les détails les plus infimes.
Le
Maître de Musique
L'organisation
de l'enseignement a varié au cours des siècles à
la maîtrise de Chartres comme dans les autres cathédrales.
Au Xllème siècle, les deux fonctions de maître de
grammaire et de maître de musique étaient cumulées
par un personnage unique, le maître des enfants ("magister
puerorum" ), aussi appelé "instructor", "gubernator
puerorum in albis", "administrator puerorum". On avait
le sens du théâtre! Ce maître des enfants se faisait
aider d'assistants de son choix. Puis les deux fonctions furent dissociées.
Jusqu'au XVème siècle, ce fut le maître de grammaire
qui eut le pas sur l'autre -il était l'héritier des grandes
écoles dont la maîtrise était issue. Puis, de chef
suprême de là maîtrise, il devint simple professeur,
voire surveillant, et la direction revint au maître de musique.
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C'est
pendant cette période du Xllème au XVème
siècle que la maîtrise dispensa les meilleures
études. Nombreuses
'étaient les familles d'alors qui inscrivaient, moyennant
finances, leurs enfants à l'école.
Les
chanteurs profitaient ainsi d'un haut niveau littéraire
et ils. ne furent pas rares, ceux qui, au sortir de la maîtrise,
purent s'inscrire à l'Université de Paris où
à celle d'Orléans. Quand il créa un collège
pour les enfants de chur, le chapitre se sépara
des autres enfants, tout en maintenant un bon niveau d'études
élémentaires.
Pour
permettre aux meilleurs élèves de poursuivre leurs
études dans les grands collèges de la capitale,
il se préoccupait de leur obtenir des bourses.
Ainsi,
en 1579, il obtint de Henri IV, par l'intermédiaire de
la reine, deux bourses au Collège de Navarre. Au XVllème
siècle, il envoya plus de quinze enfants dans les universités
en leur accordant des pensions.
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Au
XVlllème siècle, on ne put continuer l'enseignement jusqu'à
la classe de rhétorique, et on dut s'arrêter à la
classe de troisième, puis à la quatrième. Quant
aux maîtres de grammaire, ayant perdu leurs élèves
extérieurs, et une bonne part de leurs revenus, ils devinrent
peu à peu de simples auxiliaires de l'école de chant.
La
musique occupa peu à peu l'essentiel du temps disponible, les
offices succédant aux offices. Dans le domaine musical, la maîtrise
atteint son apogée aux XVllème et XVlllème siècle
quand les chanoines mirent les postes de maître de musique en
concours et sollicitèrent ceux-ci à l'extérieur.
Ils écrivaient aux maîtres des autres cathédrales,
leur offrant le voyage pour pouvoir les entendre. Ceux-ci aimaient à
changer de cathédrale, soit pour gagner davantage, soit pour
changer d'employeur. Il en vint ainsi de Notre Dame de Paris, de Laon,
Mantes, Amiens, Tours, Dijon, Rouen, Reims
Les
études musicales
Les
enfants apprenaient le chant, la composition et les instruments. Au
XIVème siècle, ils devaient apprendre aussi les textes
des psaumes et pouvoir les réciter de mémoire. Ils mêlaient
plainchant et contrepoint. Au XVème siècle, ils apprenaient
le déchant, ou contrepoint savant, Ils devaient y briller puisque
les chanoines, en 1409, les faisaient venir dans leurs hôtels,
in hospitiis suis, Pour les écouter chanter. Ils étaient
si appréciés qu'il n'était pas rare qu'un roi
ou un prince les achetât pour sa chapelle privée. C'est
ce que fit Anne de Bretagne, le 17 mai 1510, qui offrit en retour
aux chanoines une cloche portant son nom. " Vous m'avez donné
une petite voix, moi je veux vous en donner une grosse ".
Il arrivait aussi qu'ils fussent enlevés méchamment,
comme en 1485, par un prince.
Un
peu plus tard, les enfants apprirent la composition. Ainsi, en sortant
de la maîtrise, Robert Goussu devint directement maître
de chapelle du duc d'Aumale, à Anet, et il concourut, à
partir de 1576, au Puy de musique d'Évreux, qu'il remporta
six fois de suite. Le Puy de musique était un concours de
musique qui recouvrait le motet latin, la chanson... A l'exemple
de leurs maîtres, les enfants composaient de nombreux morceaux,
surtout lorsqu'ils espéraient devenir maîtres de chapelle.
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Les
registres contiennent de très nombreuses sollicitations
d'enfants demandant l'autorisation de faire chanter une
oeuvre de leur composition. Lorsqu'ils étaient sur
le point de quitter la maîtrise, les plus âgés
des enfants allaient au chapitre et demandaient, dans une
harangue en latin, la permission de faire exécuter
et de diriger leur composition lors d'une grande fête.
On
la leur accordait généralement, et ils venaient
remercier ensuite, toujours en latin, le chapitre qui leur
accordait dix à vingt livres pour les inviter à
continuer... Ils composaient généralement
des vêpres, des messes, des Magnificat, des Salve
Regina, des Lauda Jerusalem, des motets.
Cette
émulation favorisait l'éclosion de talents,
et les maîtrises furent des pépinières
de compositeurs et de maîtres de chapelle : à
la fin du XVlllème siècle, Jumentier devint
maître de chapelle à Senlis, à 18 ans,
en 1767, puis à St Quentin où il a laissé
une abondante production. Dans le domaine du chant, les
enfants devaient avoir une jolie voix et une bonne maîtrise
du chant. S'ils ne donnaient pas satisfaction, on les rendait
à leurs parents.
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A
la mue, on les conservait et ils chantaient ensuite en haute-contre
ou en voix d'homme. Les heures de répétition et de travail
vocal étaient nombreuses et avaient surtout lieu dans l'après-midi
et la soirée quand les offices étaient moins nombreux.
Les heuriers matiniers - autrement dit les chantres qui chantaient
les parties de basse-taille -, hautes-contre et basse-contre participaient
aux répétitions qui précédaient les grandes
cérémonies.
On
en comptait, à la fin du XVlllème siècle, treize.
En principe, la maîtrise ne chantait que pour la cathédrale
ou les chanoines. Mais la règle s'assouplit peu à peu,
et elle chanta un Te Deum pour la paix d'Utrecht en 1713 chez les
Cordeliers; et pour la naissance du Dauphin en 1729. La maîtrise
recevait parfois la visite des vicariants, ou chantres passants qui
allaient, d'église en église, se faisant entendre moyennant
une rétribution, la passade, Ils étaient populaires
dans les maîtrises, où ils apportaient un souffle d'aventure...
Les
enfants apprenaient un instrument, le plus souvent l'orgue.
Les organistes qui se succédaient à Chartres avaient
pour obligation de former deux enfants d'aube à l'instrument.
Le
système produisit des générations d'organistes
de talent. Les autres apprenaient le serpent et le basson, et
dans une moindre mesure la contrebasse et le violon.
Ils
payaient leur apprentissage et leur instrument, mais ils avaient
la possibilité, après avoir suivi les leçons,
de-devenir heuriers matiniers instrurnentistes. Leur gagne-pain
était alors assuré.
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|
"Tant
le matin que le soir, il y a musique de voix et d'instruments, comme
de serpents, de Cornets et de flûtes douces, avec qui, le plus
souvent, les orgues venant se joindre, On entend Une harmonie qui
charme l'esprit des assistants", écrit Sablon dans son
histoire de l'auguste et vénérable église de
Chartres (1715).
Devoirs du Maître de grammaire (27 juin 1789) :
1
- II demeurera à la Maîtrise et il s'y nourrira sans avoir
de ménage particulier;
2 - Il présidera à la salle d'études quand Monsieur
le Maître de musique n'y présidera pas;
3 - Il ne laissera jamais les enfants seuls et abandonnés à
eux-mêmes;
4 . Il les conduira à l'église et les ramènera
à la Maîtrise quand Monsieur le Maître ne pourra
le faire;
5 - II présidera à tous les exercices de piété
en son absence;
6 . Il aura autorité sur les enfants et droit de les corriger
quand ils le mériteront; cependant, cette autorité sera
subordonnée à
celle de Monsieur le Maître, seulement quand il sera présent"
Les
chants liturgiques
La
place des enfants dans les offices était considérable.
Les jours ordinaires, les enfants de chur étaient de Service
pour les matines, les laudes, prime, la messe De Beata, la messe d'obit
et tierce, la messe capitulaire, et sexte le matin. L'après-midi,
none, vêpres et complies. Il y avait encore les processions et
saluts.
Matines
5h30 dimanche et fête (6h en 1784)
Laudes
Prime à 9h
Messe de 8eata chantée surtout par les enfants
Messe d'obit (Plain chant)
Retour à la maîtrise
Tierce (Plain chant)
Messe (Plain chant)
Messe capitulaire (Plain chant)
None 14h30 (Plain chant)
Vêpres |
|
Aux
grandes fête, les enfants exécutaient une musique
beaucoup plus savante, avec symphonie.
Les cérémonies déroulaient un faste que l'on
a peine à imaginer aujourd'hui. Les ornements très
riches étaient portés par un nombre considérable
de participants.
|
A
tous ces offices réguliers s'ajoutèrent, au fil des siècles,
des offices fondés, c'est-à-dire créés à
la demande d'un fidèle moyennant une fondation : processions
de matines, chants à la messe De Beata on plaça par exemple
deux enfants à genoux au milieu du chur, un cierge à
la main, après la peste de 1477), chants aux processions de la
messe du jour, aux messes de fondations particulières, aux Obits,
répons et versets après vêpres et complies, prières
diverses..
Aux
grandes fêtes, on ne dénombrait pas moins de 76 chanoines,
30 à 40 chapelains et 24 clercs de chur qui étaient
heuriers matiniers ou marguilliers clercs, et les 8 à 10 enfants
de chur. Ces derniers ont porté divers costumes. Le premier
fut la soutane, appelée au XVème siècle roba, jaqueta,
tunica, tour à tour brune, verte, noire, grise, puis rouge. Elle
fut bientôt fourrée, ce qui ne plut pas toujours aux enfants
malgré le froid qui devait régner dans la cathédrale.
Ils avaient droit à deux tenues par an, l'une au printemps, l'autre
au début de l'hiver.
Ils
portaient par-dessus l'aube ou le sur-plis. Au XVlème siècle,
on leur rajouta par-dessus, en hiver, le camail à longue queue
pointue. Les enfants, qui avaient le crâne rasé, portaient
une coiffure : au XIVème siècle, c'était le petit
chaperon, capelli; au XVème, les biretta, petits bonnets carrés;
au XVlllème siècle, ayant froid à la tête
malgré le camail, ils portèrent une calotte rouge.
La fête des Saints Innocents
Un
enfant était nommé évêque, et portait habits
pontificaux, rochet, camail, croix pectorale, bâton pastoral
et mitre. Les autres enfants étaient habillés en chanoines,
et étaient vêtus du surplis, de l'aumusse, de la chape
et occupaient les stalles.
Les
vrais chanoines étaient installés dans les stalles
inférieures.
L'un
des enfants était nommé grand chantre et il arborait
le bâton cantoral.
L'évêque
officiait à la messe, chantée par un chanoine.
A la fin de l'office, il donnait la bénédiction
Solennelle, et l'on baisait son anneau.
Le soir, on célébrait la fête par un grand
banquet.
|
|
Règlement
Le
règlement était très dur. Ainsi le lever, en été,
avait-il lieu à 4 heures, et chaque office était intercalé
par des études : la messe De Beata était suivie de l'étude
du martyrologue, du latin, du catéchisme ; l'après-midi
était occupée par le travail du plain chant, du chant
sur le livre, de l'étude des instruments et des répétitions
avec les maîtres de musique ou les heuriers. Un règlement
de 1789 donne une idée de ce qui était imposé aux
maîtres et aux enfants : Ces règlements n'empêchaient
pas de nombreux abus : des maîtres furent condamnés pour
avoir participé à des jeux de nuit, ou pour n'avoir pas
dit le bréviaire ou entendu la messe le dimanche...
Des
élèves étaient punis pour s'être révoltés
: la pression disciplinaire, trop forte, fut refusée par beaucoup
à partir du XVllème siècle : en 1652, un enfant
fut fouetté en public pour avoir eu une maîtresse, puis
emprisonné huit jours et renvoyé. Les enfants n'avaient
pas le droit de recevoir de personnes du sexe féminin, fussent-elles
de leur famille. De nombreux enfants furent renvoyés pour des
fautes bénignes manque de respect, insolence, désobéissance.
Les chanoines toléraient difficilement la plus petite insoumission.
Aussi arrivait-il que des enfants s'évadent. Ils étaient
alors recherchés, repris, puis congédiés. La consigne
générale était, pour les maîtres, de "
tenir " leurs élèves.
Les
divertissements consistaient en récréations, prises
après les offices dans une cour de la maîtrise.
Ils
jouaient alors au jeu de boules ou au jeu de paume.
Le
jeudi, ils sortaient en promenade avec le maître.
Parfois,
une courte permission de sortie était donnée le
1er janvier, ou pour les vendanges.
Parfois
aussi, ils étaient conduits au théâtre, mais
cela n'avait pas lieu tous les ans. A l'occasion de certaines
grandes fêtes, à l'issue de processions, on leur
offrait quelquefois un rafraîchissement, une douceur, voire
un bon repas, et, le jour de Pâques, l'agneau pascal.
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S'y
ajoutaient les repas fondés par des fidèles : un certain
Etienne Lhomme, en 1505, demandait que l'on ajoutât, après
le motet de sainte Catherine,
" au dîner des petits enfants, ledict jour, chacun ung
pasté de cinq à six deniers tournois la pièce,
et audict maistre ung grand pasté de trois sols tournois, et
trois pinctes de vin et six petits pains blancs ".
Mais
la grande réjouissance de l'année était la chevauchée
: enfants et heuriers matinaux partaient pour une sorte de cavalcade,
revêtus de déguisements, et allaient de monastère
en monastère pour y faire joyeuse bombance. Fonctionnant comme
une soupape de sécurité, ces fêtes permettaient
un défoulement salutaire qui dura jusqu'à la Révolution.
Les
enfants étaient logés et nourris, mais aussi habillés
entièrement par le chapitre.
Celui-ci payait le blé pour faire le pain chez le boulanger,
le vin, l'eau que l'on apportait chaque jour, et aussi lé
bois, la viande, et le salaire de la servante.
Les
livres de comptes donnent le détail de tous ces achats,
jusqu'au plus petit, et permettent de reconstituer la vie quotidienne
des maîtrises.
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Ainsi,
on sait que les maîtres de grammaire avaient des gages annuels
de 40 à 50 livres ;
les maîtres de musique, des gages annuels d'environ 925
livres ;
les
enfants, de petites sommes lorsqu'ils allaient aider les chanoines,
pour leurs achats de papier, de plumes. A leur départ,
ils recevaient, au XVlllème siècle, environ 150
livres.
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A
quoi s'ajoutait ce qu'on leur donnait lorsqu'ils composaient une messe,
environ 10 livres. Quand ils quittaient la maîtrise, on leur cherchait
un métier, on les plaçait et, au besoin, on payait pour
qu'ils apprennent leur métier. Ceux qui voulaient devenir prêtres
recevaient de quoi poursuivre leurs études. Mais le chapitre
préférait les voir devenir heuriers matinaux, et c'est
aussi ce que demandaient la plupart des sortants. Ils voulaient "
porter les draps", c'est à dire chanter ou jouer d'un instrument.
Ils étaient alors rémunérés. On les aidait
à compléter leurs études en les envoyant aux universités,
en leur offrant une pension, même s'ils devaient quitter la cathédrale
pour aller ailleurs.
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